(there is nothing for you here), reeve.

La mèche a été vendue par leur frère, quand bien même Reeve le soupçonne d'avoir gardé pour lui l'information un rien plus longtemps que ce qu'il clame. Kye est arrivé d'un pas pressé, les lèvres pincées en une fine ligne, l'air incertain et visiblement anxieux ; l'attitude d'un garçon qui sait qu'il s'apprête à donner une mauvaise nouvelle à un diable au tempérament trop peu conciliant. D'ordinaire d'une nonchalance maladive, presque offensive, il s'est empressé de refiler les soupçons à Reeve comme on se débarrasse d'un nouveau-né qu'on ne veut pas porter. Kye n'a jamais voulu être responsable de rien, ni dans son rôle de frère, ni dans son rôle de médecin, moins encore dans celui d'homme. Reeve soupçonnera, puis découvrira plus tard, que Kye était l'envoyé de leur mère, qui sait tout et a jugé que Emelia est, et a toujours été, sa responsabilité.
Dans l'urgence du moment, Reeve en a oublié tous les basiques et a transpercé la ligne a grandes enjambées. Ça pour se prendre le changement d'atmosphère et le coup de poignard prodigieux que le bas assène à tous ceux du haut qui osent. Il a échappé un juron, et s'est donné une heure avant de céder et de traverser de nouveau, cette fois pour réclamer l'assistance du tout Westview s'il le faut. Tant pis pour l'armistice, tant pis pour la prochaine guerre qui s'en vient. Tant pis pour l'intégrité, et combien il sait que l'erreur de sa soeur coûtera tant à sa famille qu'à la concernée ; tant qu'elle échappe au bas et apprend sa leçon. S'il s'agit de sa soeur, la question de provoquer des émules et potentiellement un affrontement ne l'effleure qu'à peine.
L'embuscade prend forme au hasard, alors qu'il discerne une chevelure lourde et une démarche un rien chaloupée, caractéristique d'Emelia, au détour d'une rue pas si bondée. S'il croit avoir été discret, sa soeur le surprend en le reconnaissant immédiatement, et il lui faut une seconde de réflexion avant de statuer qu'elle le connait trop. Il félicite le bon sens qu'elle a de le craindre, parce que s'il est de notoriété qu'il chérit particulièrement la plus jeune de la meute, Reeve n'en demeure pas moins un monstre sentencieux lorsqu'il s'agit du bas.   “ I get to ask the questions here.  ” Parce qu'elle est sa soeur et jouit d'une position privilégiée ne signifie pas qu'elle sera ménagée ici. Le ton est plus rude que ce à quoi elle est habituée, témoignant du courroux qui le traverse. Sa main trouve son bras, et même s'il en a toujours été conscient, Emelia n'aura jamais semblé aussi fragile dans son étau qu'ici.   “ Are you out of your mind ?! Do you even remotely know what this place does to you ? ” Le ton est monté. Juste assez pour exprimer davantage sa colère, mais pas encore pour donner au bas l'opportunité de les remarquer.  Bien sûr qu'elle sait. Probable qu'elle en sache davantage que lui, même, et c'est justement pour ça qu'il ne lui trouve aucun prétexte et ne saurait entendre quelconques explications. “ You have no excuse. None, you hear me ? You reckless child. ” Surtout, il ne comprend pas. Pas après tout ce qu'ils ont, il a, combattu durant une guerre à peine remportée. Pas alors qu'elle connait tous les enjeux, tous les paramètres hasardeux. Surtout pas alors qu'elle sait, voit, malgré tout ce qu'il met en oeuvre pour occulter, combien il flâne en permanence au bord du gouffre, et qu'un rien suffirait à le faire basculer dans la démence de ceux qui ne savent plus vivre. Ni avec les autres, ni avec eux-même. “ Let's go, before some asshole figures out who we are.  ”