a walk among the tombstones. (a/n)

a walk among the tombstones — @adley bok
I find myself searching the crowds for your face -
I know it's an impossibility, but I cannot help myself.

Il fait toujours plus froid aux alentours du cimetière. Comme si l'atmosphère s'imprégnait de la tristesse des gens déambulant entre les tombes toute la journée, venus parler à un proche, pleurer sa mort ou célébrer sa vie. Revenir au Bas était déjà quelque chose d'étrange, pour Noor. Ses passages de plus en plus disparates, il s'est imposé de perdre l'habitude et de ne plus connaître par cœur les détours des rues d'une partie de la ville qui a préféré lui tourner le dos plutôt que de le laisser vivre pleinement ce pour quoi il était fait – lorsque l'on pousse quelqu'un à choisir entre son bonheur et ses proches, c'est bien la preuve que les proches en question ne veulent pas vraiment le voir heureux, non ? Alors, Noor avait fait son choix il y a bien des années, pensant les cicatrices invisibles et douloureuses avec le maquillage, les applaudissements, la ferveur d'un public qui ne désemplit pas soir après soir. Mais eux, il ne les a jamais oublié et sans doute naïvement, il continue d'espérer que la réciproque est vraie. Que malgré la perte de sa mère, malgré les dernières années de sa vie passées dans l'ombre d'une damnatio memoriae jetée au-dessus de sa tête dès qu'il eut fini de faire ses bagages pour l'autre côté de la Ligne, elle ne l'ait pas oublié et son père non plus. Qu'au moins une infime partie de leurs êtres continue de l'aimer, lui, l'homme, le fils, au-delà de l'artiste qu'ils méprisent. Que peut-être ils aient pu, ces dernières années, porter attention à sa carrière, venir voir ce qu'il se passait sur ses réseaux sociaux ; raison principale pour laquelle il ne les a jamais mis en privés. Tant de fois, il a espéré, plissant les yeux vers le public, pouvoir discerner leurs visages – plus vieux, ridés, sans doute un peu tristes comme peut l'être le sien lorsque l'acteur laisse l'homme sur le devant de la scène. Son souhait ne s'est jamais réalisé et Noor, immanquablement, a cessé d'espérer.
Une casquette enfoncée sur sa tête pour s'offrir le luxe de la discrétion, il avance en silence à travers le chemin des tombes. Sur les pierres, il guette les noms qu'il aurait pu connaître. La guerre a fait des ravages, probablement plus qu'il ne le sait réellement et, entre le marbre vieilli et le granite plongé récemment en terre, il essaie d'apercevoir des bribes de son passé, espérant n'en trouver aucune. Quelques noms, pourtant, sont familiers à l'œil. Comme des fantômes d'une autre vie que la sienne, une à laquelle il n'appartient officiellement plus, mais qui fera pourtant toujours partie de lui. Des gens avec qui il avait grandi, d'autres qu'il a connu depuis son plus jeune âge, emportés par la maladie, les combats, la faim, et plus rarement la vieillesse. Son cœur se serre à mesure qu'il avance et, l'espace d'un instant, Noor se met à regretter son approche. Ça fait plusieurs semaines maintenant qu'Amal Hayisa est partie. Partie. Ils disent tous ça, comme s'il y a le moindre espoir qu'ils puissent la voir revenir un jour – en retard sur son emploi du temps, après s'être perdue quelques semaines de trop chez une de ses amies, comme si tout était normal. Elle ne reviendra pas. Jamais. Et Noor, depuis qu'il a appris sa mort, se ronge les sangs, écrasé par un mélange de sentiments qu'il ne supporte plus. Entre regrets, colère, tristesse et frustration, il n'est plus tout à fait lui-même, évoluant dans le spectre des ressentiments qui le gangrènent. Peut-être que de la voir l'aidera. À défaut de pouvoir la serrer une nouvelle fois dans ses bras, pouvoir effleurer du bout des doigts la pierre et son nom gravé pourra l'aider, rien qu'un peu ? Il a besoin d'exorciser tout ça. Passant devant une tombe dont il reconnaît une nouvelle fois le nom, il se mord l'intérieur des joues et plonge sa main dans le bouquet de marguerites pour déposer une fleur sur le sommet de la pierre.
Il ne faut que quelques pas de plus pour qu'il arrive devant son nom. Amal Hayisa,
أمل حييسة ,
beloved mother, wife, sister. La douleur s'immisce en lui, presque impossible à supporter sur le coup. Sa gorge s'obstrue, ses yeux s'humidifient et pourtant, aucune larme ne coule. Comme s'il les avait toutes pleurées le jour où elle l'a poussé hors de chez elle, chez eux. Il inspire profondément, plante ses dents dans l'intérieur de ses joues. Que fait-il ici ? De nouveau, ses yeux observent les écritures sur la stèle et c'est comme un coup au cœur. Encore. Noor se racle la gorge, s'acroupissant face à elle comme il avait tant l'habitude de le faire autrefois, lorsqu'elle s'asseyait dans le canapé du vieux salon. — Salut, maama. D'un geste doux, il dépose les fleurs sur la tombe, un frisson le parcourant à peine les tiges touchent-elles la pierre froide. Noor passe ses mains sur son visage, replongeant dans le silence significatif des lieux, perdant déjà la notion du temps.