money is the motive (val)

Le message était plutôt clair : qu’elle s’amène à l’heure et présentable et on aurait peut-être un peu de travail à lui donner. Ce n’est clairement pas ce à quoi elle donne le plus volontiers son temps, mais il faut bien payer les factures, se ravitailler, continuer à pouvoir acheter du matériel pour soigner les corps nébuleux autour d’elle. Alors Fairuz s’est pointée au Blind Dokkaebi dans une jolie robe noire achetée au rabais et une paire de talons assortis, hauts à lui en donner le vertige. Elle a quelques années de pratique cependant et ses jambes ne tremblent pas quand elle se présente à l’assistant du manager. “ Ah Faye! ” Ils ont déjà travaillé ensemble, même si la familiarité avec laquelle il l’accueille n’est pas réciproque le moins du monde. “ Right on time. We’ve got gentlemen in one the private booths. High stakes. Might go on a while. Think you can handle it? ” Elle hoche la tête sans un mot, c’est plus facile d’expédier ce genre de conversations que de risquer de se faire virer à la moindre démonstration d’hésitation. Elle a besoin de cet argent. “ You know my terms? ” ose-t-elle simplement s’enquérir, d’une voix faussement assurée qui arrache un sourire amusé. “ Yeah don’t worry, love. It’s just about having a pretty girl around. Nothing funny. ” S’il se veut rassurant, Fairuz sait tout de même à quoi s’en tenir ; toutes les promesses du monde peuvent être brisées. “ I’ll go fix my makeup then. ” Elle salue quelques serveuses en chemin, elle en a remplacé quelques unes de manière tout à fait ponctuelle et n’envie pas le moins du monde leur situation quand bien même elles ont une paie plus stable que la sienne. Elle s’arrange un peu devant le miroir, ne s’attarde pas trop, pour ne pas risquer de se focaliser sur les innombrables imperfections, avale un peu d’eau et laisse ses affaires dans le vestiaire — le plus précieux comme les clés et le téléphones sont cachés, comme bien souvent, directement dans les sous-vêtements. Trop facile de perdre ce genre de choses, elle n’est que trop bien placée pour le savoir.

La pièce est si enfumée, empestant le cigare, qu’elle peine d’abord à voir les visages des quatre individus en pleine discussion très animée. “  We’ve already got our drinks hun. ” l’informe la seule femme du lot non sans chaleur. “ She’s not here for that, ” rétorque un autre avec un sourire en coin, probablement celui qui a fait la demande. Elle hoche doucement la tête comme en réponse à une question qu’on ne lui a pas posé, s’arrête tout net en dévisageant les traits du dernier convive. Elle baisse aussitôt les yeux, ses joues se réchauffant un peu avant qu’elle ne se reprenne, plaque un petit sourire sur ses lèvres et vienne s’installer entre deux inconnus. Un bras est passé autour de ses épaules, on lui propose à boire, elle refuse, mais accepte l’offre des fruits sinon délaissés sur la table au milieu des bouteilles dont certaines, à elles seules, pourraient payer son loyer. C’est difficile, bizarrement de rire et sourire et prétendre s’intéresser à ce qu’on lui dit mais pas aux affaires que l’on débat, dès qu’un visage connu est là. C’est difficile de ne pas se sentir trop observée soudain, alors même que tout son rôle est précisément et exclusivement d’être vue, exhibée parce que, d’une manière encore complètement incompréhensible pour elle, certains hommes aiment avoir de jolies inconnues à leur bras pendant qu’ils se vantent de leur exploits commerciaux et négocient leurs prochaines fortunes. C’est compliqué de ne pas rougir quand c’est avec les doigts que John Smith (peu importe leur vraie identité, les clients s’appellent toujours comme ça) la fait picorer, sous les yeux de Val. Compliqué aussi de sourire, alors que sa main glisse un peu trop bas dans son dos pendant qu’il s’adresse avec excitations à ses camarades du soir. Elle n’a pas besoin qu’on la juge et elle a tout le temps l’impression de l’être.
L’impression qu’on va lui reprocher ce travail tout juste honnête ; l’impression qu’on va lui dire qu’elle ne le réalise pas assez bien. Elle sait que d’autres filles sont bien plus à l’aise, aiment sincèrement profiter de ces instants près du soleil de la richesse à laquelle elles aspirent.

La soirée s’éternise, les verres se vident, Fairuz devrait profiter du fait qu’on se penche vers elle pour susurrer une proposition et un numéro de téléphone pour glisser ses doigts dans une poche, mais la gêne lui fait tout oublier et elle ne s’en extirpe à peine que lorsqu’ils sont enfin debout, sur le départ. Au moins lui aura-t-on laissé un généreux pourboire — pour les enjeux discutés ce soir toutefois, des clopinettes. Ils sont tous contents des affaires qui ont été réalisées ce soir ce qui ne peut que vouloir dire que l’un d’eux s’est fait avoir quelque part. Probablement pas Val. Elle pousse un long soupir en passant une main entre les coussins de la banquette pour s’assurer que personne n’a rien oublié, ses doigts effleurant ce qui pourrait bien être une carte quand la porte se rouvre. “ I was just check- ” Les genoux sur la banquette, elle manque de se claquer un muscle en tournant trop vite la tête vers le nouvel arrivant. “ Oh. It’s you. ” Ses joues reprennent de ces couleurs qu’elle trouve disgracieuses. Il est seul cette fois, elle peut se permettre de lui adresser la parole sans risquer de gâcher quoi que ce soit. “ Forgot something? ”

Prince voleur - roi de l’arnaque. La couronne cachée sous la chevelure et le coeur en vrac ; c’est ainsi que règne le noble du vice caché, du tour dans la manche et des cartes gâchées. Sans sceptre ni titre, simplement à bout de sourires en coins et d’intentions dissimulées. Le rescapé de la fange et d’un peuple aux abois se tient droit sur un trône qu’il façonne de ses propres affaires et de ses gains arrachés ; à la loyale ou non, personne n’ira vérifier. Mains gantées et doigts pourtant si habiles, il laisse partout où il les appose la trace de son mérite. On murmure sur son passage, on lui accorde des regards à la dérobée - c’est qu’en plus, l’homme monotone a eu la bonne idée de naître avec une prestance qui fait jaser. Mais les têtes, qu’elles se tournent ou qu’elles tombent à ses pieds, Valefor ne leur accorde finalement que peu d’importance : bien plus que les visages, ce sont les poches de leurs propriétaires sur lesquelles il conserve un regard assidu. Car tout se paie, tout s’achète, tout se vend. Un troc permanent sur le commerce d’une vie qui ne fait ni crédit, ni de cadeaux. Les choses s’arrachent, les biens se protègent avec férocité. Ces leçons, Valefor les a apprises au sacrifice d’autres prônant sûrement un peu plus d’humanité. Mais pas de pitié pour la charité, quand on nait dans un monde qui s’évertue à vouloir nous enterrer ; alors, du bout des ongles, de ses serres de rapace, il accroche et il se hisse vers le haut. Vers le prestige.

Et ce soir, encore une fois, le businessman maudit resplendit. Dans ses habits de fête, le protagoniste gris aborde son rôle favori. Sur le devant la scène qui se déroule sous les semelles de ses chaussures vernies, il troque son impassibilité déconcertante contre ce sourire entendu qui exprime pour lui tous les dangers qu’il ne se fatigue plus à prononcer. Le moindre de ses battements cils est une menace sous-jacente. Mais Valefor est distrait, malgré lui, par la présence d’une jeune femme qu’il reconnait. Reflet de ce qu’il a été par le passé, gamine des rues se débrouillant comme une fille peut le faire dans une telle situation, il éprouve malgré ses efforts pour ne s’attacher à personne une certaine empathie pour la brune. Un instinct qu’il retrouve lorsqu’il se confronte à cette bande de marmots qui se font l’écho de sa vie d’avant, et auquel il ne parvient pas à résister bien longtemps. C’est donc tout naturellement que Valefor revient sur ses pas une fois l’entrevue terminée. Il change la cadence de sa démarche, passant d’un rythme tranquille à de longues enjambées précipitées. Quelque chose le dérange, quelque chose le titille. Et il ne peut passer outre. Dans ce sentiment d’urgence que l’embarras lui inspire, il se doit d’agir.

Alors, le voilà désormais dressé dans le dos de la brune. Mains gantées plongées dans les poches de sa veste de costume au prix exorbitant, il pose sur le visage de la jeune femme un regard aussi neutre qu’il est déstabilisant. « What are you looking for between those cushions ? Crumbs ? » Des miettes. Parce que ce serait tout ce dont à quoi elle aurait droit, au regard de sa piètre prestation de ce soir. Il ne sait pas ce qu’elle avait à l’esprit, celle qui d’habitude ne s’encombre jamais de la morale pour dépouiller ses cibles. « I didn’t expect to you to be here tonight. Nor did I think that you would leave empty-handed. » Il s’approche. Son ombre grandit contre les murs, renvoyée par les quelques lumières survivant à l’ambiance tamisée de la pièce. « What happened ? »

C’est un autre genre de malaise que d’être seule à seul avec Val. Il a de ces regard qui abîment, presque sans le vouloir. Elle rougit en se tordant le dos pour lui faire face, les doigts achevant d’attraper le morceau de plastique qu’elle glisse par automatisme dans sa poche sans prendre le temps de l’étudier. Elle se relève pour s’asseoir plus confortablement, quand bien même la conversation ne le sera sûrement pas vu comme elle commence. La moue qui se forme sur les lèvres de la jeune femme alors qu’il s’approche en atteste bien assez. Il semblerait qu’il n’ait rien laissé derrière lui qu’elle. Fairuz a sûrement passé l’âge de se vexer, mais elle ne cessera jamais de le faire, pas tant qu’on aura la critique si facile avec elle. « What happened ? » Elle ne sait pas. Elle n’a pas envie de répondre, hausse une épaule en sachant pertinemment que ça ne suffira qu’à l’agacer plus qu’autre chose. Peut-être devrait-elle être flattée qu'il s'embarrasse de ces questions, cherche à comprendre, à l'aider à s'améliorer. C'est vrai qu'il ne doit pas le faire pour tout le monde. C'est un homme occupé après tout, y a qu'à voir comment il s'habille, pas faussement classe comme elle, mais vraiment élégant, dans des costumes sur-mesure. Fairuz ne saurait même pas quoi faire de tout l'argent qu'il doit avoir. « I was distracted. » Admet-elle du bout des lèvres, ses pieds pianotant impatiemment sur le sol, elle a hâte de se débarrasser de ces vêtements et de rentrer chez elle. « There’s this girl on my block, she’s got bronchitis. I need to get her antibiotics.» Explique-t-elle sur un ton d’excuse, évitant le regard de Val par crainte sinon de perdre contenance. C’est la vérité, mais ce n’est pas l’entière vérité. « And also I did not expect you to be there. I don’t like working around…acquaintances. » Ils ne sont pas amis, pas vraiment. Mais c’est tout comme pour la gêne qu’elle a à bosser devant. Elle fait ce qu’il faut et n’a en l’occurrence pas grand chose à se reprocher. Elle se doute que Val en a vu d’autres, qu'il a vu bien pire, aussi. De manière tout à fait rationnelle elle sait qu’elle aurait toutes les raisons du monde de l’envoyer paître s’il lui reprochait son job de la soirée, mais la rationalité n’a pas de place dans son cœur dans des moments pareils. C'est parce qu'elle est la première à se juger et relever toutes les erreurs et tous les défauts de sa vie qu'elle supporte si mal que d'autres s'y adonnent.

« Also I got this for crumbs anyways. » Elle tire de sa poche la carte qu’elle n’a pas eu le temps d’étudier, découvrant une carte de crédit argentée, jurant sous son souffle. « Fuck. » Useless. Sans le code, on ne peut en tirer que des miettes, justement, avant que le propriétaire ne fasse opposition. Et puis les achats seront tracés, on pourrait remonter jusqu'à elle. Ou pire, jusqu'à la gamine à laquelle les médicaments sont destinés. « Well. We can’t all be you. » Et le reproche réel brille sous le ton qui se voulait résigné. C’est qu’il a bien réussi Val à devenir Czerny. Il a même trop bien réussi pour les débuts qu’il a eu. Rat des rues tout comme elle, volant désormais trop haut au-dessus de leur tête. Il ne devrait même plus leur accorder un regard à eux, autres rejets de l’orphelinat ; les vrais rejets à vrai dire, ceux qui auront fini par être lâchés dans la nature à l’âge adulte plutôt qu’adoptés. Ils ne peuvent pas tous être comme lui ; il en faut des centaines d’eux pour que l’exception survienne.

Les sentiments teintes les gestes d’une maladresse inutile. Etats d’âme que Valefor retranche dans le fond de son être, dans un petite boîte en laiton scellée qu’il n’ouvre que lorsque personne ne peut le voir faire. Il a ce don des sentiments qui s’allument et qui s’éteignent, de l’impassibilité qui s’anime et des cynismes qui s’étreignent. Véritable ventriloque du pantin qu’il se fait devenir, les mains jouent et il en oublie d’en parasiter les sourires. C’est là la beauté de la créature grise qu’il entreprend de devenir, de demeurer - c’est qu’une fois dans ses habits de voleur, ce sont aussi les émotions qui prennent la porte dérobée. Il les récupérera lorsqu’ils ne seront plus un fardeau, quitte à les laisser prendre la poussière pendant plusieurs jours - semaines, mois ? Certainement pas des années, sinon il ne serait que froideur et cruauté. Et pour l’instant, Val, de tout ça, il ne l’est qu’à moitié. Jaugeant ainsi les trouvailles - maigres, certes - et les paroles de son interlocutrice, son visage n’a pas changé. Il n’a jamais l’impression de perdre son temps lorsqu’il traite avec ce qu’il considère comme la nouvelle génération de futurs prodiges. Il n’a jamais su se débarrasser de cette envie de tendre l’une de ses mains, aussi maudite soit-elle, vers le fond du gouffre pour en tirer ceux qui lui ressemblent un peu trop. Un instinct fraternel, pour ne pas aller jusqu’à la paternité, qui lui inspire cette envie d’insuffler ses conseils et son savoir. En prince des rejetons d’une société pourrie, il se fait conseiller de sa Cour des miracles bien à lui. « The world doesn’t need another one like me. » It shouldn’t have one, devrait-il plutôt dire. Le drame au coeur que Valefor se traine, il ne devrait pas avoir à le retrouver chez quelqu’un d’autre. Les monstres peuples la terre, mais de ceux de la trempe du voleur, il ne faudrait pas en faire toute une armée. Il a été une exception forgée dans les larmes, la sueur et le sang. Ce qu’il est devenu est bien moins reluisant que ce qu’il a acquis. Possessions grandiloquentes et pimpantes, mais rattachées à un Homme en Gris.

« Also… if you’re looking for meds, you should try robbing a pharmacy. Money leaves a smell behind. » Aller au plus simple. Pourquoi voler de l’argent pour récupérer ce qui l’intéresse, alors qu’elle pourrait directement plonger la main dans le sac qui contient le fruit de son désir ? L’argent n’est qu’un moyen, pour ce qu’elle veut en faire, et non une fin. Multiplier les étapes inutiles est la porte ouverte aux obstacles futiles. Pourquoi se donner l’opportunité de trébucher dans des virages sinueux alors qu’il lui suffirait de courir en ligne droite ? « And you should get used to seing me around. I’ve got businesses everywhere. But anyway, this is a silly excuse for such a poor job you just performed. » Il est intransigeant, certainement trop. Mais Valefor a appris que ce n’est pas avec de la douceur contre la langue que les leçons s’apprennent le mieux. Il est ferme, sévère - parce que c’est ce qui leur faut, à ces enfants sortis de la galère. « When you’re working, you need to stop being you. You can’t afford to get so easily distracted. To be distracted, in this world, is to be dead. Do you understand ? » Et cette fois-ci, sa voix prend un timbre légèrement plus concerné, presque inquiété. Le chien impassible devient loup préoccupé, face à la progéniture qui a du mal à grogner. « Next time, do better. For your friend’s sake, and yours. »

Elle aurait tendance à penser qu’il a raison, que le monde n’a effectivement pas besoin d’un autre comme lui. Ce n’est pas qu’elle le pense particulièrement pourri au point de devoir rester unique en son genre, mais c’est qu'il lui semblerait bien plus juste que, plutôt qu’une exception fulgurante et rarissime, des dizaines d’autres orphelins soient rescapés tous les jours, pour peut-être ne pas vivre en Prince, comme lui, mais dignement au moins. Elle ne le dit pas ceci dit, parce qu’à quoi bon exprimer ce genre de pensées qui n’intéressent personne et ne mènent à rien. À quoi bon chercher à se faire un ennemi de celui qui pourrait ne pas lui accorder un second regard et qui pourtant, à sa façon, lui vient en aide. Elle l’accepte parfois pourtant, son assistance, principalement quand elle vient la chercher elle-même, fait somme toute bien rare. C’est qu’elle a du mal à considérer Val comme autre chose qu’une vague connaissance dont elle ne comprend pas vraiment l’intérêt pour la plèbe que les Willowisps et associés représentent. De fait, ça l'effraye. L’idée de cambrioler une pharmacie la fait grimacer, comme s’il y avait encore des lieus trop sacrés pour qu’elle laisse ses doigts de fée traîner sur les étalages. C’est faux par ailleurs, pour certains produits de première nécessité, elle l’a fait et sera certainement amenée à le refaire, la vérité c’est que les antibiotiques sont bien protégés derrière les comptoirs, et une certaine violence serait nécessaire pour les atteindre. C’est là que se dessinent clairement ses limites.  « And you should get used to seing me around. I’ve got businesses everywhere. But anyway, this is a silly excuse for such a poor job you just performed. » Fairuz aimerait pouvoir dire que ça ne l’atteint pas, mais les joues se réchauffent et les ongles s’enfoncent dans ses paumes alors que les poings se referment douloureusement. Elle se moque de ce qu’il pense, c’est son propre échec qui la heurte tant, quand bien même elle a connu si peu de victoires dans sa vie que celle-ci s’apparente à une défaite constante. « When you’re working, you need to stop being you. You can’t afford to get so easily distracted. To be distracted, in this world, is to be dead. Do you understand ? » Les yeux se plissent, comme par suspicion alors qu’elle remarque presque sans le vouloir la note d’inquiétude, si légère soit-elle, dans le fond de sa voix.

« Next time, do better. For your friend’s sake, and yours. » C’est peut-être ce qui la vexe le plus, qu’on l’accuse en quelque sorte de ne pas faire de son mieux pour les autres, pour la fille du voisin et sa bronchite aigüe. Faye réalise pleinement qu’elle n’en fait pas assez, clairement pas autant qu’elle le voudrait, mais qu’on ne lui reproche pas de ne pas essayer quand c’est ce à quoi elle consacre sa vie.  « Maybe next time I’ll just text you first to make sure I don’t offend you again with my poor performance. » marmonne-t-elle, en croisant les bras sur sa poitrine, mécanisme de défense instinctif et souvent trop peu efficace. « I don’t rob a pharmacy, because robbing creates too much trouble and commotion and investigation,  and ultimately the customers of the pharmacy will be paying, not the owners, not the labs. Violence leaves a trail too and you don’t get access to antibiotics with nimble fingers only. » Elle secoue la tête lourdement. Il n’a pas vraiment tort ceci dit, pour tout ce qu’elle vit en marge de la société, pour tout ce que ses intentions vont à contre courant, elle mange encore largement dans la main du système. Il lui semble toutefois que Val soit particulièrement mal placé pour le lui reprocher. Peut-être que son argent est sale, mais il est le premier à le reverser dans le système. Y a qu’à voir ses fringues.  « I did the job anyways. » Elle pince des lèvres, sachant pertinemment qu’il a raison et qu’elle aurait pu mieux faire, même si elle n’a pas failli à ses fonctions non plus. C'est qu'à ce poste-là, elle n'a définitivement pas l'ambition ni l'envie qu'il faut pour réussir avec brio. « Was not great, sure. But so what? It’s nothing to you anyways. »  Ce n’est pas comme s’il récupérait un pourcentage des misères qu’elle parvient à récolter. Ça ne le regarde pas vraiment. Pas du tout. « It’s also still in your power to give me a better tip you know. » ose-t-elle même provoquer un peu et accuser, sans la moindre trace d’espoir véritable. Les conseils non sollicités sont sûrement tout ce qu’il a à lui donner.  « Do you stop being you too? » demande-t-elle cependant sans savoir masquer un rien de curiosité et après une seconde à peine de réflexion, tout doucement :  « Are you ever you? » C’est peut-être une meilleure question. Ne travaille-t-il pas tout le temps quelque part, sort-il jamais de son rôle, n’en endosse-t-il pas simplement un autre, même là avec elle pour seul public ?

Ce n’est rien pour lui, qu’elle dit - et il devrait se contenter d’acquiescer. De s’accorder sur le fait qu’effectivement, il ne tire absolument aucun avantage à ce qu’elle réussisse, et n’accuse aucun inconvénient à ce qu’elle échoue. L’un comme l’autre, sa situation demeure inchangée, cruellement intacte. Il évolue en parallèle de la vie de cette rescapée de la misère qui tente de s’extirper de ses filets à l’aide de ses charmes et de ses mains baladeuses - une de plus, une de moins, il ne pourrait les compter sur les phalanges de ses deux mains. Ils sont si nombreux, ces gamins des rues, ces gamins que la vie à déçus, qu’il ne devrait pas s’encombrer des malheurs de chacun d’entre-eux. Pourtant, Valefor, il le fait à sa manière. Car s’il est devenu le Prince des voleurs, malgré lui, il a également endossé le costume de Saint-Patron des miséreux. Celui vers qui se tournent les prières dans les couloirs mal éclairés des labyrinthes de ruelles. Celui vers qui se tendent les mains d’un nouveau bambin déposé sur les marches d’une orphelinat en temps de pluie, en temps d’infamie ; il est devenu une légende que l’on peut croiser dans la rue, mais face à laquelle on change tout de même de trottoir. Monstre pour effrayer les enfants nobles, modèle pour les garnements affamés, à l’instar de sa personnalité, il joue de deux facettes opposées.

Il se redresse, comme pour se protéger de sa prestance, lorsqu’elle commence à l’accuser. Elle se défend du mieux qu’elle peut, façon gamine vexée, façon princesse capricieuse. Elle a fait de son mieux, et il la croit - mais parfois, ce n’est pas suffisant. Au-delà de se surpasser soi-même, il faut s’élever au-dessus des autres ; et ils ne sont pas tous rampants. Certains ennemis courent, d’autres grimpent, mais trop nombreux sont ceux qui volent. Et ce sont eux, qu’il faut dépasser. Quitte à tricher, quitte à piétiner, à défaut d’avoir des ailes, il faut duper le monde entier en laissant croire qu’on peut s’en faire pousser. « Why would I tip you ? I did not hire you for this job. And if you really want a tip from me, you take it. I have pockets too, you know. » Même s’il est impossible de le dépouiller. Il sait qu’il lui fait une offre dans le vide ; de toutes ses potentielles victimes, Valefor est bien celle qu’elle n’atteindra jamais. Mais il laisse la proposition planer, peut-être simplement pour l’agacer davantage. Tous les deux savent qu’elle échouerait à tous les coups, si elle se risquait à traîner les mains trop près de ses poches.

Puis, la question qu’elle lui pose lui inspire un rire. Rauque, cynique, froid - le genre d’hilarité qu’il ne plait pas d’entendre. De la bouche de n’importe qui, mais surtout pas de celle de l’Homme en Gris. Car elle ne sonne pas uniquement comme moquerie, mais comme coup de grâce, achevant tout espoir de le voir un jour sourire par désir d’exprimer de la joie. Ou quelque chose qui s’en approcherait. Lui, est-il seulement à un instant de la journée véritablement lui-même ? La réponse ne risquerait pas de plaire à la jeune femme. Mais puisqu’elle a osé demander, elle ne pourra s’offusquer de recueillir une réponse tout aussi arrogante que son interrogation qu’elle a laissé s’échapper. « This is me. » Il s’approche de quelques pas. Il la surplombe, de son ombre et de son regard sombre - à peine éclairé par une lueur espiègle, légèrement taquine. « I am exactly how I present myself to the rest of the world. » Et c’est la vérité. Au fond, le rôle qu’il endosse, il a fini par s’y bien le saillir qu’il l’a adopté pour sa propre identité. Parce qu’il a tué l’enfant désespéré qu’il a été plusieurs années en arrière pour se métamorphoser - il est à plein temps cet homme réfléchi, ambitieux et talentueux. A l’avant de la scène, ou encore une fois le rideau baissé, il est à jamais cet être obscur et à la morale vacillante. Sans artifice, sans véritable masque à ôter. Valefor n’a de faux que sa façon de laisser penser qu’il l’est en permanence. « Sorry to disappoint. But that would make two of us. » Il hausse une épaule, s’éloigne légèrement. « And by the way. Everyone pays for what other people take. If you had stolen from these men, who do you think would compensate for their loss ? Other powerful men ? You know that’s not it. You had no problem wanting to take from them, but you don’t want to go after the drugs your friend needs ? » Il relève l’ironie, souligne l’injustice. « Two kinds of people exist in this world. Those who steal, and those who are stolen from. And tonight, these men just stole your friend’s recovery. It belongs to you to take it back from them. »

Étonnement il n’y avait pas de jugement dans la question de Fairuz, un vague relent d’agacement, de la curiosité, un peu d’empathie, mais pas de jugement. C’est aussi pour cela qu’elle prend aussi mal le rire qui lui échappe, moqueur et froid à la faire frissonner. Il est ce qu’il est Val, dans toute sa splendeur, dans tous ses vices, dans toute l’arrogance qui ne peut que perturber celle qui n’a aucune confiance en elle. Elle fronce un peu les sourcils quand il s’approche, technique d’intimidation qu’elle ne reconnaît que trop bien et qui, tristement, fonctionne. Elle trouve ça triste, si c’est cela qu’il est vraiment, rien de plus que cette carapace qui se pavane dans les rues, se fait monarque pour les petites mains mendiantes qui, avec un peu de chance auraient pu finir comme lui. Elle trouve ça triste s’il n’y a rien en dessous de tout ça, rien de profond, aucun trésor à trouver si on creuse un peu. Elle a du mal à s’imaginer que ça soit vrai ceci dit;  elle préfère encore penser qu’il y a plus en lui que ce talent incroyable pour la juger et l’embêter. Ses ongles s’enfoncent dans la chair de ses bras, elle se force à ne pas trop faire voir sa frustration et sa vexation. Pourquoi se plaît-il tant à l’enfoncer dans son échec, ce n’est pas comme si elle pouvait faire grand chose pour y remédier ce soir. Et visiblement il n’a rien prévu de faire de plus pour l’aider. « How? How would I take it back from them exactly? They're gone now. » Elle secoue la tête, l’air de dire que ça n’a pas d’importance. Elle se débrouillera pour les médicaments, quitte à devoir vendre un meuble, ou travailler plus dur demain. S’il elle ne mange pas, ce qu’elle a gagné ce soir suffira certainement. « We don’t live in the same world. Me and them. Me and you. » Il a beau se voir prince parmi les voleurs, roi parmi les orphelins, il n’est plus des leurs plus vraiment. Il peut compatir, mais il ne peut pas prétendre savoir ce que c’est vraiment, de vivre encore ainsi. « I’m of the people who might steal everyday but still get much much more stolen from them. » Elle sait ce que c’est d’être des deux côtés, elle sait qu’elle pourrait faire le coup de sa vie et toujours voir le monde lui voler un peu plus d’elle.

« I don’t care about fighting the system. Yes it’s rotten to the core, yes whatever I do something bad will happen to good people because that’s how this city works.» Ce qui ne l'empêche pas de culpabiliser, d'essayer de limiter au maximum ce genre de dommages. « But it’s not up to me to change it. It’s not even up to you. » La gangrène est trop profonde, il lui est impossible d’imaginer que New York puisse encore changer. Pas de son vivant en tous cas et encore moins grâce à elle. Tout ce qu’elle peut c’est allonger quelques vies et essayer de ne pas créer plus de problèmes qu'elle n'en résout. Quant à lui, il peut remercier le système pour la place qu’il occupe aujourd’hui. « I’ll figure out a way to get those meds to her. » Elle se débrouille toujours. « I’m not going to rob a pharmacy though. I’m not going to hold people at gunpoint to get access to what’s behind the counter. » Ce n’est pas comme ça qu’elle fonctionne. Les casses auxquels elle a participé étaient des cambriolages, pas des braquages. Elle ne peut même pas s’y voir, elle ne doute pas qu’elle n’aurait rien de menaçant pour personne. D’autant qu’elle n’aurait aucune intention de tirer quoi qu'il puisse arriver. Et puis ce n'est jamais elle qui planifie ce genre de coups, elle est suiveuse dans l'âme, tout au plus aide-t-elle avec quelques informations qu'elle récolte presque sans le vouloir dans des soirées comme celle-ci. « I’ll figure it out. » Marmonne-t-elle, secouant la tête en attrapant de nouveau la carte de crédit oublié par un des clients et en se levant. Du haut de ses talons c’est à son tour de le surplomber, pas de beaucoup, mais c’est déjà ça de pris, quand bien même elle reste toute aussi mal assurée. « I guess I could call the number he gave and bring this back. Get or steal a better tip this way. » Mais elle a peur de ce qu’il pourrait penser à la voir venir chez lui au milieu de la nuit. Elle aurait peur de se retrouver face à ce qu’elle ne saurait pas assumer. « How dangerous is he? » Elle relève des yeux profondément inquiets vers lui. Voilà la vraie utilité de Val, s’il tient à les aider sans qu’ils ne le demandent. Il connaît mieux la haute société, ces gens qu’on peut délester de quelques fortunes sans aucun remord. Ou presque.