around 10:32, like he knows what to do. (a/a)

around 10:32 — @aster thornwood
how do you go back
to being strangers with
someone who has seen
your soul?

Combien de mois, combien d'années s'étaient écoulés sans qu'il n'ait de ses nouvelles ? Elle n'avait laissé derrière elle qu'un mot pour lui expliquait qu'elle partait, qu'elle le quittait, et l'effluve de son parfum dans le creux de ses draps. Amber s'était retrouvé comme un con et, comme tel, avait erré un temps. Il ne voulait plus vraiment parler, plus vraiment voir d'autres gens. L'espoir qu'elle revienne ? Il ne l'avait jamais eu. Car lorsqu'Aster Thornwood faisait un choix, elle s'y tenait. Aucune de ses décisions n'était prise à la légère. Elle pensait, réfléchissait, pesait le pour et le contre, et finissait par faire son choix. Ce fonctionnement qu'il avait tant admiré pendant leurs années communes, cette force d'esprit qu'il demandait, il l'avait détesté dès lors qu'il s'était réveillé sans elle, le lit déjà froid de son absence. Et les jours, les semaines, les mois, avaient commencé à passer. La guerre avait éclaté. De leur existence ne restait plus rien que des souvenirs et quelques preuves matérielles, des dessins encrés sous sa peau, bientôt rejoint par d'autres qui, tous, criaient avec assourdissement son manque d'elle. Son monde avait changé et, sans elle, sans Aster, il semblait s'écrouler un peu plus de jours en jour. Amber Vale était devenu une ruine parmi les ruines, quand la guerre ne faisait que donner une excuse autre à son chagrin.
Il avait pensé à elle chaque jour de chaque semaine de chaque mois de chaque année. Sans savoir où elle était avec certitude, ne se laissant que le droit d'imaginer un présent qui n'existait peut-être même plus, il n'avait jamais été capable de l'oublier ou de s'abandonner à quelqu'un d'autre, obnubilé par les efforts qu'il déployaient pour la retrouver. Amber ne s'était jamais imaginé comme quelqu'un de romantique, tout au plus vaguement exalté, mais peut-être l'était plus qu'il ne se le figurait. Là, dans un coin de la Via Veneficius, il sentait ses mains trembler et avait été obligé de dissimuler les rares élans lumineux de ses doigts sous une paire de gants de cuir, pour s'assurer de ne pas être pointé du doigt trop vite – elle pourrait fuir, elle pourrait ne pas venir. La nervosité, l'angoisse, ne faisaient qu'accentuer l'instabilité de sa magie, encrée elle aussi sous son épiderme. Bénédiction ou coup du sort, les tatouages de sigils continuaient de grignoter lentement une santé mentale déjà mise à mal. Il n'avait jamais été le candidat idéal pour les essais. S'il n'avait pas insisté, s'il n'avait pas enjolivé sa réalité, sans doute aurait-il été recalé : trop dangereux de par son instabilité provoquée par cette dépression qui le rongeait depuis son enfance. Un mal-être chronique, devenu d'autant plus tangible après son départ. Mais ce soir, peu lui importait de se mettre des coups à l'esprit. La véritable inquiétude d'Amber se tenait dans la possibilité qu'elle puisse ne pas venir, changer d'avis, deviner qui était derrière cette annonce alors même qu'il ne l'avait ni écrite, ni pensée. Rien pour lui laisser l'opportunité de savoir, de sentir ce qu'il lui dissimulait, lui qui n'avait jamais voulu tenir quelconque secret entre eux.
C'est là qu'il la vit. Le temps s'était égrainé sous leurs yeux et pourtant, elle semblait ne pas en subir les affres. Aster était toujours aussi belle. Sa chevelure rousse-feu, il l'aurait reconnue entre mille. Son nez légèrement en trompette, son air grave et dur, sa silhouette fine et de taille moyenne. Sa peau tatouée, plus noircie qu'elle ne l'était la nuit où elle l'a quitté ; de nouvelles histoires avaient été racontées sur son corps et il espérait, ne pouvait détailler avec plus de précision les dessins qu'il voyait, qu'aucun homme n'avait pu les écrire avec elle. Là, dissimulé contre le mur d'une boutique, il prit quelques secondes pour la détailler. Comme si le moindre pas vers elle risquait de la faire s'envoler. Doucement, Amber soupira et décolla son dos de la pierre, le redressa et, époussetant rapidement sa veste, s'avança derrière elle. — Aster. Il l'observa se retourner vers lui et se fut comme un coup dans la poitrine. Amber déglutit un peu, sentant sa respiration se faire plus difficile, penchant la tête légèrement sur le côté en la détaillant. Sans trop savoir s'il le devait, il esquissa un sourire. Léger, discret, presque timide. — It's been a long time.

Ses yeux se posèrent doucement sur son reflet dans le miroir : d’un doigt précis, elle enleva l’excès de mascara qui menaçait de tacher sa paupière. Elle scruta minutieusement la couleur de son teint ; puis, se relevant du siège devant sa coiffeuse, elle alla chercher sa tenue, presque devenue un uniforme, avec l’expérience. La belle plante se glissa dans une robe sublime aux tons carmins, soulignant ses courbes parfaites et agrémenta sa tenue d’un châle pour protéger ses épaules tatouées d’un vent insidieux. Vérifiant une dernière fois son maquillage et sa robe d’un œil avisé, elle se dirigea vers le rendez-vous convenu quelques jours plus tôt.  Elle avait répondu à l’annonce, se méfiant d’abord des détails apportés à l’histoire. Le numéro de téléphone obtenu l’avait laissé sceptique, mais ces derniers temps, l’argent se faisait rare et les contrats plus épars. Elle se devait de continuer à vivre; et son métier de mercenaire n’était pas des plus faciles. Lorsqu’on commençait dans ce business, il s’agissait de se créer des contacts : la guerre n’avait rien facilité à son affaire, là où elle se trouvait à chercher sans relâche une manière de survivre. Elle y était habituée, à survivre. Son leitmotiv de ces dernières années, qui sonnaient comme la période la plus compliquée de sa vie. Elle, qui avait grandie sans famille, sans repères, se retrouvait à devoir, une fois de plus, se battre pour subsister et ne pas couler. Sur son corps, les cicatrices d’une formation intense et impitoyable, cachées dans des tatouages qui noircissaient les périodes sombres d’une histoire qu’elle ne voulait partager avec le monde. Après l’université, après la fuite, elle avait voulu faire table rase d’un passé qui ne ferait que l’alourdir, la poursuivre, lui rappelant qu’elle aurait pu être heureuse, si et seulement si le destin n’en avait pas décidé autrement. Arrivée à l’heure au rendez-vous, elle questionna du regard la ruelle, frissonnant sous l’assaut du froid. Avait-elle peur, là, seule, avec pour compagnon la lumière bancale du bar où elle devait rencontrer son rendez-vous ? Non. Aster avait été entraîné pour savoir se défendre seul, et la peur, elle l’enfouissait si profondément que l’apathie prenait le dessus. Elle avait appris à supprimer ces émotions négatives et à se focaliser sur une tâche précise. Et c’est ce qu’elle ferait ce soir, peu importe les conditions difficiles qui lui seraient imposées.

Elle n’aurait jamais pensé, une seule minute, que son rencard serait un fantôme de son passé. Ni qu’elle se ferait surprendre. Elle qui prévoyait tous les scénarios, toutes les possibilités, fut prise à dépourvu, ravalant une avalanche de désirs et sensations dévastatrices. Lorsqu’elle entendit sa voix, elle se tourna vers lui et resserra le châle autour de ses épaules. Ses talons hauts manquèrent de la faire vaciller, mais elle garda le contrôle tandis qu’à l’intérieur d’elle-même, c’était une tempête destructrice qui faisait rage. Qu’était-elle supposée faire ? Plusieurs choix s’étendaient devant elle. Première possibilité : elle feignait ne pas le reconnaître. Peut-être avait-elle eu un accident. Mentir ne lui avait jamais dérangé avant. Surtout pas pour ses clients, ou pour ses proies. Deuxième choix : elle laissait les émotions l’envahir. Elle qui, pourtant, avait toujours tout eu sous contrôle. Puis, dernière option : elle agissait de manière purement professionnelle, comme elle l’avait toujours fait. Même si c’était Amber, son premier et unique grand amour. Celui qui avait tout pris, à qui elle avait tout donné, sans contrepartie autre que sa dévotion et sa fidélité. Très vite, elle dût aviser comment elle jouerait la partie. Détaillant ses traits – he’s still so handsome, elle pensa – elle l’imita. Elle pencha la tête sur le côté, son visage de glace, ne laissant transparaître peut-être qu’un amusement. Sous la casquette de séductrice, du moins, elle tombait en lambeaux. Comme il était dur de ne pas tomber dans ses bras ; de ne pas se blottir contre son torse et de ne pas lui demander pardon. Les années les avaient séparés – elle les avait séparé – mais le présent semblait lui faire un pied de nez magistral.

D’abord, elle esquissa un sourire à l’image de son personnage. En coin, aux notes mystérieuses, ne laissant rien filtrer. Elle avait de l’entraînement dans ce domaine ; les apparences, elle les côtoyait et les manipulait à sa guise. - Amber, elle répéta en écho, son nom laissant une note amère dans sa gorge. Dans sa poitrine, son cœur s’agitait, tourbillonnait, menaçait de s’échapper et cognait si fort contre sa cage thoracique qu’elle dût inspirer pour contrôler cette dérive. - Yes, it’s been a long time, elle acquiesça d’un hochement de tête. Pourrait-elle cacher longuement ce qu’elle ressentait vraiment à l’instant ? Sa main se resserra autour de l’écharpe et d’un signe de tête, elle lui montra l’entrée du bar. - Shall we go in ? Elle demanda, sans lui laisser le temps de réfléchir à une réponse. Elle se dirigeait déjà vers une banquette, s’asseyant sans y être invitée.

Le silence s’installa entre eux. Elle l’observa longuement avant de prendre la parole. Les souvenirs de leur passé commun glissèrent contre sa colonne vertébrale pour se frayer un chemin vers une mémoire qu’elle aurait préféré éteindre. Elle croisa les jambes sous la table en bois, puis attendit que le serveur ne vienne les solliciter avant d’enfin lui parler. – How have you been? Ce n’était que lorsque la question sortit d’entre ses lèvres qu’elle se sentit bête. Comment pourrait-il se sentir ? Aussi mal qu’elle, non ? Brisé, accablé et éreinté de n’avoir jamais pu faire une croix sur leur histoire ? Elle pinça ses lèvres enduites d’un rouge à lèvres subtilement assorti à sa robe. Plutôt que de rire et de lui montrer à quel point elle pouvait être mal à l’aise, elle prit la décision de jouer sur un tableau qu’elle connaissait bien. Avant que le serveur ne vienne déposer les boissons sur la table, elle laissa le châle tomber sur le siège derrière elle. D’un mouvement expert et rapide, elle remit la robe en place et se pencha légèrement sur la table, lui laissant le loisir d’admirer un décolleté plongeant. – I’m curious. How did you find me? Ses cils se mirent à battre. Aster ne voyait que cette solution pour s’en sortir sans trop de dommages. Elle revêtit la facette qu’elle connaissait la mieux : celle d’une séductrice à la beauté suave, que peu d’hommes pouvaient ignorer.

Qu'est-ce que le temps avait bien pu leur faire ? Trop d'années s'étaient écoulées pour que leurs vies restent inchangées et prêtes à être reprises là où Aster s'était chargée de mettre un point, où Amber s'était assuré qu'il ne serait pas final. Il y avait trop de choses. Trop de questions restées longuement sans réponses, trop d'émotions qui le traversaient, trop de nécessité à se rapprocher d'elle un peu plus et à la toucher pour s'assurer qu'elle était vraiment là, devant lui, à le regarder et à lui adresser un sourire comme elle ne l'avait jamais fait avant : machinal, poli, froid. Ces cinq années de séparation, Amber les avait passées à la chercher et à mettre en œuvre tous les moyens qu'il possédait pour y parvenir. Il avait remué ciel et terre, Haut et Bas pour parvenir à la revoir. Et maintenant qu'elle était là, devant lui, les mots qu'il avait tant reprochés à Oney s'agitaient dans son esprit. She abandoned you. She left you alone without giving you the slightest explanation, without looking back. Elle avait forcément une bonne raison, s'était-il si souvent et si longuement répété. Mais ce sourire réussissait à faire tanguer toutes les certitudes qu'il avait martelées dans son propre esprit. À la place, des et si tournoyaient, semant un doute qui lui faisait bien plus mal encore que cette distance entre eux depuis le départ d'Aster. If she wanted you, she would have find a way to contact you. Et si c'était vrai ? Et si Aster avait pleinement voulu ce départ, plutôt que de se l'être fait imposer d'une façon ou d'une autre comme Amber avait toujours voulu le croire ? Leurs retrouvailles, il les avait imaginées si souvent qu'il pensait avoir écrit dans son esprit tous les scénarios possibles. Celui-ci, pourtant, lui avait échappé. Elle était là, face à lui, mais lui ne semblait être que l'ombre d'un n'importe qui lorsqu'il entendait sa façon de lui parler. C'était comme un accent sur son agonie lente qui l'avait mené jusque-là. Il se mordit l'intérieur des joues, le dos droit et le menton redressé, et la rejoignit à l'intérieur du bar. Puisqu'il était là...
Aster était là, devant lui. Il avait pu réentendre sa voix après s'être si souvent attelé à regarder leurs anciennes vidéos pour s'assurer qu'il n'en oublierait pas les notes, les tons, ni la mélodie. Elle avait pourtant changé. Si, de prime abord, elle avait semblé ne pas avoir subi les affres d'un temps qui leur avait échappé, il se rendait compte que comme lui, Aster avait vécu, et Aster avait changé. Incapable de déterminer s'il parviendrait à se faire à cette nouvelle part d'elle qu'elle lui montrait – froide, distante, qu'il connaissait avec les autres mais jamais avec lui, tant elle semblait se fondre contre son flanc dans l'espoir tacite qu'ils finissent par le faire plus qu'un –, il l'observait, se moquait bien des lieux et des gens autour. À travers ses regards appuyés contre les traits d'un visage qu'il avait tant aimé du bout des doigts et des lèvres, tant caressé et embrassé, il cherchait la faille dans cette carapace qu'elle lui offrait, sans pouvoir s'empêcher de se demander si elle avait fini par le reléguer à un statut lambda, semblable à tous les autres qu'elle pouvait rencontrer. Le silence se logea entre eux, loin du doux confort qu'il leur avait tant apporté par le passé. Une sorte de malaise douloureux éprit Amber, qui se refusa pourtant de détourner le regard d'elle. Comme si un simple clignement d'yeux pouvait la faire disparaître de son existence à nouveau. Sa question rompit la trêve maladroite qui s'était imposée à eux. Le mage du Haut réfléchit à la question, se demandant s'il ferait bien de lui offrir la vérité sur un plateau d'argent ou non. — Time flew. A lot of things happened. Ses tatouages. Ses recherches. L'instabilité dont souffrait sa santé mentale depuis qu'elle avait disparu, mise un peu plus à mal encore depuis que des sigils encraient son dos. Tellement de choses s'étaient passées, tellement de vestiges de la guerre s'étaient immiscés entre eux, mais les rouages d'une histoire qui l'avait mené à nouveau jusqu'à elle n'étaient pas le point culminant de ses intérêts en l'instant. — What about you ? How has it been for you ? Il chercha des réponses qu'il n'était pas sûr de vouloir entendre. Avait-elle trouvé quelqu'un d'autre ? Était-elle heureuse entre d'autres bras que les siens ? Avait-elle tiré un trait sur lui, sur eux ? L'égoïsme de ses inquiétudes ne lui échappa pas, mais Amber ne put faire autrement. Il avait dédié trop de temps à elle, à eux et à leur histoire pour se contenter d'ignorer ce genre de choses et de ne pas savoir où se situer. Il espérait qu'elle allait bien et, en même temps, ne pouvait s'empêcher de nourrir l'espoir qu'une part d'elle ait souffert de son absence.
Doucement, Amber déglutit. L'interrogation était légitime mais il ne voulait pas pour autant livrer toutes ses cartes sans connaître d'avance les répercussions de son acte. Encore, l'attitude d'Aster semait le trouble dans des pensées jusque-là persuadées qu'il avait fait le meilleur des choix. — It hasn't been easy but I found some good help and made some... friends. Ses doigts vinrent se glisser un instant contre le collier qui restait enroulé autour de son poignet depuis sa rencontre avec Yaj, gage de sa sincérité et de sa fidélité. Leur collaboration était fragile et risquée mais de garder avec lui cette part du jeune garçon et de son histoire lui rappelait qu'ils devaient se faire mutuellement confiance et le rassurait un peu. — Why didn't you try to find me ? La question lui échappa plus vite qu'il ne put y penser pour tenter de la retenir. Elle lui brûlait les lèvres, soulevait des interrogations plus profondes encore. — Why did you leave at first, Aster ? I thought we were a whole. That we were one. That we were good. What happened to you and to us ? Where were you ? Did you stop loving me ? Why ?