New York, 2021. La guerre des Corbeaux est terminée. Dans le sang et la poussière, New York renaît de ses cendres. La vie reprend : l’université de magie Brakebills rouvre ses portes et les speakeasies accueillent de nouveau les riches magiciens de l’Upper East Side tandis que les bas-fonds du Bronx enterrent leurs morts. Cinq ans de guerre et rien n’a changé : la magie la plus pure est toujours réservée à ceux qui vivent en Haut, tandis que les relents d’alchimie souillée ruissellent dans les ruelles du Bas. C’est ainsi depuis des siècles, depuis que la Ligne qui sépare New York entre eux a été tracée. Et dans l’ombre, pourtant, la révolte gronde. Les trahisons se préparent et seule la lueur d’une dague tranchera l’obscurité.
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Reeve Dahlström

Reeve Dahlström

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always on the run. w/. h  ·  10/05/21, 04:24 pm

Sometimes you just have to be done.
Not mad, not upset.
Just done. | @harjwan shah

Un soir particulier au Maelstrom, alors que rien ne présageait qu'il quitte sa tanière, sa liqueur et sa belle compagnie à la faveur d'un vieil ami. Il a fallu un nom pour inspirer une curiosité, et une anecdote pour provoquer un véritable intérêt. “ And who else knows ? —   Just me, and you now. I swear, it's just me. I saw him, ran straight to you. ” Renvoyée du Maelstrom d'une vague de la main, Sura avait docilement baissé la tête et s'était retirée à reculons, ses petites prétentions et espoirs de prime généreuse sous le bras. Il avait récompensé l'information et la prise de risque d'une flamme fougueuse, brutale et injuste, ainsi que d'une tombe confortable dans l'abysse nommé Hudson. Désormais certain d'être le seul en Haut à connaitre l'endroit exacte où Harjwan Shah se tenait, Reeve considéra brièvement l'opportunité de lui tendre une embuscade ce soir avant de s'y résoudre fermement avant que l'horloge ne sonne un jour nouveau. L'occasion était trop belle, et s'il n'avait pas à dessein de ramener celui qu'on considérait comme le traitre du Haut, au moins pourrait-il le confronter et lui faire savoir qu'il n'était rien que ce chien puisse faire pour s'épargner sa présence. Reeve dirait ouvertement haine, ressentiment, mais il était sans nulle doute animé, alors qu'il quittait le club tôt, d'un rien d'amitié et de besoin viscéral de savoir, voire de pardonner. Harjwan Shah lui devait une pléiade de motifs, et des excuses au moins aussi glorieuses que le simple fait qu'il se rende en bas. Il lui devait de rompre cette solitude vicieuse que seul les hommes qui font la guerre et perdent même lorsqu'ils gagnent. Au moins un peu, au moins d'essayer, après avoir été un pitoyable camarade et avoir craché sur leur amitié.

Une nuit sans étoiles coule sur le squelette du Bas et l'enveloppe d'un manteau glacé lorsque Reeve pénètre ses pauvres défenses. Lui faut quelques pas pour accuser le coup, déglutir, réprimer des frémissements, et se défaire vaguement du coup abrupt porté par la ligne. Le bas lui fait l'effet d'un dépotoir compilant la misère du monde magique, rassemblant la lie des mages et la pègre des hommes. La grange à fumier du Haut, puisqu'il faut un engrais à tout jardin luxuriant. Dépouillé de ce qu'il croit être sa plus grande gloire, sa magie, Reeve dévale les rues les yeux dans le dos et les mains dans les poches. Ses doigts flirtent avec le contour d'un pistolet, parfois d'une lame, et il médite en marchant le fait qu'il pourrait provoquer une nouvelle guerre uniquement pour Harjwan Shah, this little shit, ou plutôt pour le plaisir non contenu et ouvertement mesquin de tomber sur lui comme la misère sur le pauvre monde. Ce serait d'une telle simplicité que ça lui semble aberrant, absurde, et c'est pourtant comme ça que les guerres débutent ; un acte isolé fomenté par les pires intentions, et quelques aigreurs mal contenues.
Surtout, il sent en lui un abîme nouveau et sa magie gratter et agripper ses entrailles pour subsister dans ce néant. Il a laissé l'idée d'une dose de drogue l'effleurer, mais la méthode trompait la hâte de l'instant, alors il a tout naturellement opté pour la sagesse et le panache d'un arsenal discret sous un manteau épais. Reeve ne pari pas,  surtout pas avec le Bas, moins encore avec Harjwan. Sura a été effroyablement spécifique sur les détails, et il aurait pu envisager un piège, si seulement il n'était pas tombé sur l'ombre d'Harjwan ; pile au bon moment, pile au bon endroit. Sous sa capuche, Reeve analyse, considère, présume, estime, juge à distance. Au moins l'ami est vivant, ce qui est plus que ce qui est assumé dans le Haut par la plupart d'entre eux. Encore que vivant serait mieux approprié si l'éternel terrible des Shah ne donnait pas à se repaitre ouvertement de sa ruine. Il suit Harjwan d'une rue à l'autre, le pas et le regard léger, puis entre pitié et indignation, il s'immisce lorsqu'il ne se trouve plus qu'eux dans la rue pour tromper l'interlude curieusement silencieux entre deux blocs pourtant animés.   “ Looks like rock bottom has a basement, eh ? ” Sur ses lèvres, le sempiternel rictus de suffisance dont il sait que Harjwan se priverait volontiers. L'air a été perfectionné pour énerver et souligner davantage le ton caustique, et s'il est ordinairement réservé à sa mère et ses détracteurs, il n'a jamais été plus judicieux et élégant de le porter que ce soir.   “ Let's have a chat, shall we ? I believe it's the least you can do. ” For old time's sake, et pour tous les efforts, tous les dangers qui entourent sa venue.  Il est parvenu jusqu'ici, au prix de sa fierté, et dieu seul sait combien celle-ci lui est précieuse. Ça, quand bien même il s'imagine parfaitement que l'ami prendra la tangente, ira en sens inverse et lui refusera tout effort. Ils ont ça de commun qu'ils le font presque systématiquement, souvent juste pour le plaisir de le faire.   “ I come in peace,    plutôt sans sa magie, ce qui entre eux équivaut à venir à poil et si ce n'est pas là un témoin vibrant de ses intentions les meilleures, alors quoi ?    — ish. ” Il ne garantit en revanche pas de garder pour lui ses poings, son courroux, et son arme la plus affutée, ses mots. Des fois que Harjwan envisagerait de le trahir de nouveau. Il tomberait certes, ce dans le pire tombeaux du monde - le Bas, mais promet d'un regard interdit qu'il l'emporterait dans son sillage le cas échant. “ And if I were you, I wouldn't dare, you little crock of a cunt. ” Un sourire goguenard émerge sur sa commissure, pour appuyer l'accent franchement moqueur de l'insulte. Il a peut-être un round de retard dans ses pouvoirs, mais il est en forme olympique pour tout le reste. Harjwan se ressemble toujours, mais il tient désormais plus de sa version gueule de bois permanente après huit nuits de bagarres dans les tavernes que de ... Eh bien, Harjwan, le vrai.
Harjwan Shah

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Re: always on the run. w/. h  ·  14/05/21, 09:46 pm

tw: violence graphique, drogue.


Harjwan manquait d’air.
Ses poumons comprimés cherchaient désespérément à se remplir mais quelque chose les écrasait et il suffoquait. Au-dessus de lui, la pâle lumière d’une ampoule nue jetait des ombres fantomatiques sur un plafond de ciment mal terminé et dansait comme une luciole malfaisante, une parodie de bougie. À l’arrière de son crâne, il percevait une froide humidité. Pourquoi ne pouvait-il pas respirer ?
Oh, right.
Le pied botté du dealer.
Right, right, ça lui revenait en tête, maintenant. Enfin, en tête. Ce qui lui en restait.
Deux silhouettes se balançaient au-dessus de lui, à moins que ce ne soit le coup qu’il avait reçu à la tête qui ne trouble sa vision. Probablement ça, songea-t-il, alors que les contours du visage encapuchonné  se redessinaient en contre-jour. Un type de son âge, peut-être un poil plus jeune, il n’avait jamais été très physionomiste de toutes façons, avec des mains de la taille d’une belle assiette à soupe et une carrure qui lui aurait promis une belle carrière de gladiateur s’il n’avait pas été aussi désagréable à regarder - du moins, c’était là l’opinion d’un homme dont la cage thoracique menaçait de craquer sous la pression de sa botte.
— Hey, is he dead?
Et ils étaient deux, en plus. Fantastique.
— Nah. Looks like shit, though.
Harjwan toussa. La pression de la botta s’accentua, à son grand déplaisir. Capuche sourit, ses yeux brillants et se pencha vers lui, les mains fourrés dans ses poches. Ses poches remplis de dopants.
— You got something to say, man?
Yeah. But you’re not going to like it. Harjwan remua les doigts qu’il pouvait encore sentir. Good, rien n’était cassé, ou en tout cas, trop abîmé pour qu’il ne puisse pas tracer. Il inspira brutalement, pour amener à lui les dernières particules de magie blanche qui subsistaient autour de lui comme une poussière maudite. Il repensa à la poche plein de dopants. Ce pourquoi il était venu jusqu’ici, alors qu’il aurait pu clairement passer une petite soirée pépouze au fond du canap’, entre le rat qui avait élu domicile entre les planches défoncées et la voisine qui n’avait plus toute sa tête. Une douceur aiguë lui scia la tête lorsqu’il aspira la dernière goutte de magie restante, ultime effort qui se traduisit par une bouffée de rage, une déflagration violente.
Serious Injury Sigil : Double Activation.
— What the-
Capuche n’eut pas le temps de finir sa phrase que Harjwan plaquait ses deux mains illuminées sur sa cuisse. La magie blanche trancha la peau comme un couteau. Le sang gicla, chaud et poisseux, jusqu’au plafond et Harjwan se libéra de la jambe désormais tailladée de toutes parts, ignorant les hurlements de douleur. Ses mains le brûlaient, la toxicité de la magie blanche semblant toujours plus puissante ici-bas, mais il n’avait pas le temps de s’appesantir sur ces considérations triviales. Il profita de la stupeur générale pour s’emparer de ce pour quoi était venu, une petite seringue remplie d’un liquide transparent. Harjwan bloqua une seconde, une seconde de trop. L’autre dealer avait dégainé une lame sale et effilée dont le Shah imaginait sans mal la destination s’il ne déguerpissait pas très vite d’ici.
— You’re from… You’re from the fucking Up, you motherfucker!
Il fallait qu’il se casse, et vite. Ah fuck, il allait le regretter. Il avait prévu de s’injecter le dopant chez lui, pour que cela reste une affaire intime entre lui et ce qui lui restait de dignité, mais fuck it. Sans ciller, il se planta la seringue dans la paume de la main et appuya légèrement. Le type en face se stoppa dans ses mouvements, sûrement interloqué par le déchet humain qui se tenait en face de lui, et Harjwan traça le sigil de téléportation qui s’ouvrit sous ses pieds, lumineux comme une flamme. Une seconde plus tard, il était dans une ruelle inconnue, la tête qui tournait, les yeux parsemés de taches blanches, les tempes dans un étau si comprimé qu’il aurait préféré la botte du dealer sur son coeur plutôt que ce qui se passait dans son crâne à cet instant.
— F-fucking Pluto in goddamn Hell…, gémit-il en se laissant aller contre un mur qu’il tâcha de sang.
Malgré ce qu’on lui avait toujours raconté, l’air du Bas n’était pas très différent de celui du Haut. Les contes et légendes de l’enfance s’évanouissaient devant la rude réalité de l’autre côté de la Ligne : ici bas, rien de nouveau. Il n’y avait ni golem monstrueux, ni gladiateurs sans tête, ni marieuses ensanglantées. Les monstres qui hantaient les ruelles brutales ressemblaient à ceux qui vivaient de l’autre côté de la Ligne. Harjwan en inspira l’air froid privé de magie. Il tenta d’invoquer un sigil, n’importe lequel, mais la douleur avait court-circuité le système pour le moment et il savait qu’il devrait marcher pour rejoindre le taudis qu’il appelait désormais son foyer. Ce n’était pas plus mal. Cela laisserait au dopant le temps de se diluer dans ses veines ; pour le moment, il avait l’impression qu’un courant électrique parcourait chaque centimètre de son corps et rien de mieux qu’une petite balade vivifiante dans le dédale du Bas pour ménager les effets de la drogue. Fuck. Il n’avait même pas vérifié ce que le type avait sur lui. Il n’avait pas réfléchi. As usual. Il se redressa difficilement et rabattit la capuche de son hoodie sur ses cheveux blonds. Il aurait peut-être fallu qu’il se rase le crâne : ses mèches platine devenaient trop reconnaissables. À l’idée, quelque chose se serra dans sa poitrine tuméfiée, mais il chassa la sensation et se laissa avaler par la nuit, ombre solitaire dans un Bas qui ne lui en tenait pas rigueur.
Peut-être était-ce donc pour tout cela qu’il ne remarqua pas tout de suite la filature dont il était la cible. S’il n’avait pas été recruté par la Schola, c’était pour une bonne raison : Harjwan Shah était une arme de guerre, une bombe humaine ; il n’était pas de ceux à qui on confiait la tâche délicate de donner une raison à quelqu’un de la poser.
Mais il restait un Shah, et ça ne venait pas sans quelques compétences. Lorsqu’il fut certain que l’ombre dans son dos n’était pas une invention de son esprit déjà en lambeaux, il bifurqua dans une ruelle, sans trop savoir dans quoi il s’embarquait, conscient que si le tueur - parce que c’en était forcément un, quoi d’autre ? - le coinçait là, il y avait peu de chances qu’il en réchappe vivant. Mais maintenant qu’il était là… Lentement, il se retourna, prêt à faire face aux gueules infernales envoyées à ses trousses par le serpent à mille têtes des Mulver. Au point où il en était.
Il se figea.
C’était bien un tueur en face de lui, mais pas celui auquel il s’attendait.
Reeve.
Qui ne manqua de lui envoyer une première droite bien sentie, parce que pourquoi se priver ? Harjwan haussa un sourcil.
— Yeah. Right above the sewer. Ain’t it where you live?, répliqua-t-il, plus par habitude que par réelle envie de se battre. Reeve, Reeve, Reeve, autrefois un frère d’armes, qui lui avait tendu la main, qui l’avait protégé sur le champ de bataille un bon millier de fois, auquel il avait rendu la pareille, pour lequel il aurait donné sa vie sans réfléchir. Le souvenir furtif et rouge d’un mois octobre se rappela à son bon souvenir et une aigreur naquit au fond de son palais. Passée la surprise, l’amertume l’emporta.
— Peace is a funny word in your mouth, Reeve.
Ne l’était-il pas dans leurs bouches à tous, souillé collectivement par leurs dents ensanglantées, affamées de la chair de l’ennemi, mordant dans le Bas, se repaissant de sa chair de béton ? Paix. Ça ne voulait plus rien dire, nulle part, et surtout pas entre eux, les soldats de Mars. Ils avaient voué leurs corps au di immortali de la guerre, promis leurs âmes à cet astre qui gouvernait désormais leur vie. Chiens de guerre. Paix ? Pas de paix.
— Came all this way to serenade me? I don’t have a crush on you anymore, rétorqua-t-il, osant le même sourire que l’ami renié, un rictus qui lui aurait valu une gifle de l’autre côté de la Ligne.
Il le contempla une minute ; Reeve avait toujours été, après tout, spectaculaire. Harjwan aurait voulu pouvoir se dire qu’il observait l’ennemi, qu’il posait sur Reeve des yeux de soldat, mais c’était bien l’ami qu’il toisait. Son sourire se fissura pour ne laisser place qu’à une ombre. Pourquoi ce soir ? Pourquoi fallait-il que Reeve le voit ainsi ?
— You shouldn’t be here, finit-il par murmurer.
Une autre façon de dire qu’il prenait des risques à se trouver ici, face à lui, des risques dont Harjwan n’était pas sûr de pouvoir le protéger (comme s’il avait jamais protégé qui que ce soit), une autre façon de lui dire de s’en aller avant qu’il ne dérape, comme toujours. Dans sa poche, ce qui restait de dopant se faisait lourd. Et pressant.
Reeve Dahlström

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Re: always on the run. w/. h  ·  16/05/21, 07:35 pm

Il faut croire que le bas a aussi une influence désastreuse sur la capacité à répondre correctement. Harjwan a certes toujours l'insolence qu'on lui connait, mais surprend par un léger manque de justesse et panache ; critique facile et idiote du soir. Il faut dire que la mine effroyable qu'il affiche et tout le mal qui a l'air de l'étreindre ne donne pas à se repaitre d'un portrait bien glorieux. Devant lui, Reeve renifle un ricanement et porte un léger sourire goguenard ; celui qui provoque ouvertement et moque en silence, et qu'on déteste souvent par-dessus tout. “ Yes, that's the home I've elected for your goddaughter. You'll fit right in, should you ever feel compelled to pay her a visit.  ”  Chaque mot est sorti avec un naturel désarmant et un sérieux risible. Comme c'est souvent le cas, Reeve rentre dans un jeu, s'arme de ses grands arguments massues et comme à la guerre, n'hésite pas à les brandir. C'est d'une bassesse sans nom que d'utiliser Jude dans ce contexte, mais il devine - espère - que Harjwan prendra la mention en pleine poitrine. Au-delà du bannissement, qu'il n'a pas oublié, Reeve se doute qu'il ne viendra pas, mais au moins il a lancé une invitation déguisée, expliqué passablement sa présence, tendu une main, une énième, que lui-même dirait que Shah ne mérite pas. Il lui fait une fleur, un privilège, d'abord pour affirmer son autorité et s'il le faut, qu'il vaut mieux que lui, et c'est important. Aussi pour se donner une impression de générosité dont on dit souvent qu'il est dénué ; et pourtant. Comme pour tout, il y a des exceptions, même pour la pègre en disgrâce dont la seule présence réveille une cicatrice douloureuse vicieusement logée dans son ego. Enfin, par amitié, peut-être. En hommage à la racaille de Brakebills qu'ils ont été. Parce que Harjwan l'a laissé seul au milieu des ruines, des spectres, en tête à tête avec le monstre dont la guerre a fait de lui. Cette solitude en est une qu'il ne souhaite à personne, pas même à son pire ennemi ; et Harjwan n'a pas gagné ce rôle.
“ Fair, ” convient-il, en haussant les épaules. On surestime toujours le rôle de la paix. La paix est toujours gardienne d'une guerre, puisque l'une ne va pas sans l'autre, et on se battra toujours pour ou contre quelque chose ; sinon à quoi bon ? Et quel ennui, surtout. Mais pour une fois, depuis trop longtemps, Reeve vient pour un semblant de paix, les mains dans les poches, et non pour se battre, les griffes dehors. Le réaliser le traverse brusquement, et il lève un regard pensif vers un point invisible sur une façade. Quel curieux moment. Il n'y a certes pas de paix, jamais, et il n'a aucun droit à y prétendre. Pourtant, étrangement, une certaine forme de sérénité se répand en lui, reste assez pour l'étonner et puis le quitte.
“ You wish. ” Peut-être pas le genre d'aubade escomptée, cependant. Au moins ils savent encore en rire, juste ce qu'il faut. Sentant un regard glisser sur lui, Reeve s'immobilise pour lui autoriser le moment et lui rend son inspection sérieuse. Au-delà de la fatigue, du tempérament irascible, des cicatrices visibles et moins visibles, il voit en Harjwan un ami d'enfance, devenu presque imaginaire au stade où ils en sont, qu'on aurait violemment torturé. Un souvenir du passé chiffonné, qu'il pourrait s'acharner a vouloir défroisser ; la photographie ne sera jamais plus la même. Plus aussi belle, droite, intacte. Ce qui est froissé l'est pour toujours.
“ No one gets to tell me where I should or shouldn't be. ” Ni Harjwan, ni le haut, ni... Reeve n'a jamais été le plus docile, et la guerre n'a pas beaucoup arrangé sa situation, quand bien même on compte désormais sur un certain de degré de maturité de sa part. Parfois à tort, parfois à raison. S'il s'est montré plutôt exemplaire dans le cadre professionnel, il est un monstre d'impulsivité et de discordances absurdes dans la sphère privée.
“ You look wrecked. There are car crashes more put together than you. And that's an insult to cars given —”   the state you're in. Il illustre le propos d'une vague de la main dans sa direction, voguant de bas en haut comme s'il exposait cette farce aux yeux d'un public ici absent. L'air un rien indigné qu'il ne lui fait pas l'honneur de réprimer vient appuyer le geste. Les apparences sont toujours impeccables chez les Dahlström, et Reeve y est accroché plus que tout sous prétexte qu'il s'agit là de sa première et plus grande arme. Une autre dans son arsenal : le sens du détail.   “ Whatever is in your pocket, you better not. ” Pas devant lui. Les quelques ruines de son jugement encore debout n'y survivraient pas. Il est peut-être un sujet du clan Herne, certes pas le plus fidèle, mais ce qu'il est certain se trouve dans la poche d'Harjwan n'a jamais fait que frôler son existence. Reeve ne triche jamais, et surtout pas comme ça. Il gagne dans les règles, où il perd le port altier ; et dans le haut, puisqu'ils n'ont pas leur place dans cette décharge qu'est le bas.
“ Do you want to die, Harjwan ? ” demande-t-il après un silence. Simple, presque badin, à peine effroyable. Il met une insistance sur la question d'un regard appuyé, et cherche dans ses traits une première réaction ; la plus authentique. Celle, fugitive, qu'il ne pourra pas cacher derrière des mots désinvoltes et une attitude.   “ If yes, I can put you out of your misery right here, right now. Save us some time, and energy. ”  Ils savent tous les deux que Reeve est de ceux qui n'hésitent pas. Il n'y a aucune seconde de latence entre le moment où il signe et celui où il exécute. Il est réputé pour ça. Il se concentre sur l'essentiel, sort de son propre corps, balance ce qu'il a coeur et d'âme dans la gouttière, garde l'estomac pour tirer, puis se rincer les mains du sang qu'il a versé sans vomir de dégout. Il n'a jamais hésité, et il ne fera pas la fleur à Harjwan de commencer pour lui. Est-ce qu'Harjwan a hésité, lorsqu'il a déserté ? Est-ce qu'il s'est retourné, au moins une fois ? Parce qu'il est certain que non, Reeve, armé de tout son ego, se convainc qu'il n'y aura jamais d'hésitation, pour rien. Le bon, ou le mauvais. Preuve, du bon, il est là. Il a obtenu l'information, s'est pointé. Endroit ou envers : pas d'hésitation. “ If not, then what the hell ? ”  Pourquoi ici ? Pourquoi comme ça ? Pourquoi ?  Dans quel but ? Il ne peut qu'avoir une intention. Dans cette vie et dans leur monde, on ne fait rien sans rien et il ne peut pas croire un seul instant que Harjwan est là uniquement pour être là. Il a besoin d'une vraie raison. Pas une qui aille dans son sens, même. Pas nécessairement quelque chose de probable, ou qui ait un rapport direct avec lui, mais une raison. La lâcheté n'en est pas une, et il ne s'en contentera jamais. Reeve est borné à ce point qu'il ne peut pas accepter qu'un ami qu'il avait - a en si grande estime, ne soit pas aussi fort que lui. Qu'on puisse juste jeter l'éponge, dire stop, faire demi-tour, partir. Harjwan a une raison, et lui mérite de la connaitre ; ou de se prendre une énième déception dans la figure, mais en avoir le coeur net. “ Really, you left me to rot and die in the battlefield, just to live your best cockroach life in this bloody junkyard ? ”  C'est dit, et il ne le reprendra pas. Les mots flottent dans l'air et il espère qu'ils retomberont sur Harjwan comme des enclumes. “ Disgusting. ”  C'est peu de le dire.
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