look at us now (dahlia)

La tête prise entre les deux paumes et les sourcils résolument froncés, la Stratège du Haut essaye de faire sens d’un projet citoyen récemment déposé dans sa boîte aux lettres officielle. Elle est déjà si fatiguée par sa journée de réunions et de lecture que ses yeux, un peu secs, sont plissés dans un effort commensurable pour déchiffrer le document d’une centaine de pages. Si ça continue elle aura bientôt besoin de lunettes. Peut-être qu’elle devrait faire comme tout le monde et avoir quelqu’un pour lui résumer ce genre de choses. Il lui a simplement toujours semblé que c’était une excuse pour finalement ne jamais vraiment accorder le moindre poids à ces propositions, perdues au milieu de notes de collaborateurs. « Nyx. » grommelle-t-elle sans relever les yeux de sa paperasse, il lui suffit de reconnaître le grincement familier du meuble qui s’arrête pour quelques instants suite à sa requête. Elle tourne une page du dossier, les yeux naviguant à une allure indécente les pages remplies d’un jargon à moitié incompréhensible. Elle soupçonne la rédactrice de l’avoir fait exprès. Tant pis, si elle ne le comprend pas, elle ne peut pas le présenter à la Curie. « Nyx, I swear to God. » Cette fois-ci ses yeux se détachent du document pour traverser la pièce, là où la chienne couine, les oreilles redressées sur son crâne. Elle lui adresse un regard sévère et lui balance un jouet traînant là pour l’occuper avant d’en revenir à ses affaires. Styx, le museau sur ses genoux, sous le bureau, reçoit pour sa part une petite caresse distraite avant qu’elle ne reprenne sa lecture. « Nyx you fucking bitch stop humping that chair. » Elle se relève si vite que Styx manque de tomber par sa faute. Mains sur les hanches elle avale la distance jusqu’à la chienne qu’elle attrape par le col. Elle ignore férocement les étoiles qui tournoient devant ses yeux, le manque de sommeil qu’elle se traîne depuis trop longtemps finissant par la rattraper. « Fuck’s sake. You’re hornier than Awina today. » Elle secoue la tête profondément agacée, même si le couinement de l’animal sait l’attendrir quelque peu. « Speak of the devil though… » Elle attrape son téléphone de la poche arrière de son jean noir et tapote dessus avec un petit sourire en coin. My bitch needs you. Come walk her and Styx ASAP. C’est qu’elle-même n’a pas le temps et que, si elle pourrait littéralement envoyer n’importe qui le faire à sa place, ça l’amuse bien plus d’envoyer la Jara qui hante depuis trop longtemps le quartier Mulver. Elle la sait dans les parages cet après-midi, sinon sûrement aurait-elle eu la décence de ne pas l’éloigner d’une tâche un chouïa plus importante que la promenade de ses chiens — elle veut bien reconnaître que son travail dans la gestion des contrats d’armement du clan puisse être considéré vaguement prioritaire. « Stay put, loves. Your nanny will be here soon and mommy needs to work. » Elle les cajole quelques minutes néanmoins, ne se sentant même pas sourire alors qu’elle trouve enfin à se détendre après une si longue semaine. Il ne fait aucun doute qu’elle se serait elle-même chargée de leur exercice quotidien si elle avait pu. Cela fait partie des derniers petits plaisirs personnels qu'il lui reste. Si ce sont des chiens de garde, c’est de son cœur plus que de son corps qu’ils ont la responsabilité.

Le devoir l’appelle avant que sa dogsitter n’ait pu les prendre en charge, mais à jouer ensemble sur le tapis près de la fenêtre ils la distraient moins que les ébats de Nyx avec ses pauvres meubles. Quand on toque à la porte, elle pourrait espérer que c’est Awina, mais la secrétaire qui passe la tête à travers la porte n’a pas sa tête des mauvais jours. « Votre rendez-vous est là, ma’am. » Un mouvement du menton l’incite à élaborer, bien que déjà Lucretia cherche des yeux son agenda, ouvert à la page du jour. « Dahlia Belacqua. » Un peu en avance, à moins que ce ne soit elle qui perde toujours sa course avec le temps. « Ah oui, bien sûr. Faites-la entrer… et pourquoi n'en profitez-vous pas pour prendre votre pause café. » C’est qu’avec Dahlia on ne sait jamais trop si la conversation sera professionnelle ou pas et par précaution elle préfère éviter les oreilles indiscrètes. Un coup d’œil aux chiens qui se sont redressés devant l’intruse qu’ils connaissent pourtant bien et elle hésite à lui demander de s’en occuper, au passage. Elle n’est pas payée pour ça ceci dit et Lux ne voudrait pas qu’on l’accuse si tôt d’abuser de son pouvoir. « Ce sera tout, Eliza. Merci. »  « Très bien, merci, ma’am. » Elle replace une mèche de cheveux derrière son oreille, referme le dossier confidentiel et le range dans un tiroir qu’elle ferme d’un tour de clé avant de se lever pour accueillir sa visiteuse. « Dahlia ! Ça fait longtemps. » Et d’ouvrir ses bras pour lui offrir une étreinte affectueuse, de celles qu’elle réserve à ses compagnes de soirées — le nez retroussé dans le dos cependant, sauf à ce qu’elle ait déjà bien épanché sa soif — et à ses quelques rares vraies amies dont Dahlia fait partie. Lucretia n’a pas compté à quand remontait leur dernière entrevue, surtout rien que toutes les deux, mais elle sait que ça fait trop longtemps. La fin de la guerre l’a éloignée de tous. « Comment vas-tu ? Assieds-toi je t’en prie. » fait-elle en l’invitant dans la pièce, refermant la porte derrière elle, non sans vérifier d’abord qu’Eliza s’est bel et bien fait la malle. « Attends. Non pas là. Nyx a profané ce fauteuil en bonne et due forme tout à l’heure. » Moue irritée en direction de la concernée, avant de désigner à son amie un sofa encore vierge en face duquel elle-même prend place. « Tu veux boire quelque chose ? » Il est un peu tôt pour les liqueurs partagées quand elles se retrouvent en bande, ou même en tête à tête, mais le buffet dont son père lui a légué les clés en même temps que le reste de cette pièce ne contient pas que de l’alcool. « Je t’offre une cigarette ? » Qu'elle ajoute par réflexe en sortant déjà son paquet. Toute les pièces du quartier général Mulver ne sont pas des zones fumeurs, mais son bureau l’est résolument quand bien même elle ne fume pas énormément, mais de plus en plus, signe certain d’un stress grandissant qu’elle a de plus en plus de mal à gérer.